Quand la recherche publique et l’industrie travaillent main dans la main pour ouvrir un domaine technologique radicalement nouveau

Jean-Alain HERAUD (Université de Strasbourg)

Nathalie POPIOLEK (Adæquate Consulting)

 « A Model of Breakthrough Innovation: Simultaneity of Discovery and Invention »

Journal of Innovation Economics & Management (2023)

Cet article traite d’une catégorie particulière d’innovation : les avancées majeures de connaissance impliquant à la fois des chercheurs de haut niveau du secteur académique (universités ou grands organismes publics de recherche) et des entreprises maîtrisant des champs technologiques de pointe. Ce qui caractérise ces formes radicales de créativité c’est que la découverte scientifique s’est produite conjointement à l’innovation industrielle et commerciale. Il s’agit d’exemples très révélateurs du fait que, souvent, la relation entre la science et l’innovation n’est pas de type linéaire – à l’opposé de l’hypothèse implicite des conceptions habituelles du « transfert de technologie » où la création scientifique est première, puis « valorisée » en applications pratiques. Ici, l’innovation industrielle bénéficie d’avancées scientifiques majeures, mais ces dernières n’auraient pas eu lieu non plus sans l’appui de technologies industrielles spécifiques, de savoir-faire ou bien de connaissances complémentaires. Autrement dit, il y a co-construction des champs scientifiques et industriels (ou plus largement socio-économiques).

Les auteurs ont rassemblé des témoignages historiques (littérature) et contemporains (interviews) pour illustrer le propos de l’article. Nathalie Popiolek a mené au cours de ces dernières années toute une série d’entretiens pour recueillir le témoignage de chercheurs ayant fait l’expérience de projets de recherche collaborative entre le public et le privé. Ces témoignages sont mis en perspective par rapport à la théorie de l’innovation en analysant par quel processus les expériences décrites se sont révélées fructueuses tant pour le monde académique que pour le monde industriel. L’article tente aussi de dégager les conditions propices à cette fertilisation croisée.

Les motivations des acteurs de la recherche publique fondamentale et de ceux de la recherche appliquée dans les entreprises ne sont pas identiques. Chaque chercheur (appartenant à la sphère académique ou industrielle) suit sa motivation propre sans s’occuper des attentes de l’autre, mais la magie s’opère lorsque les connaissances passent les frontières et viennent enrichir chacune des sphères, comme le symbolise la figure du yin-yang appliquée à la recherche.

 

Albert Fert, prix Nobel de physique 2007, qui a accepté d’être interviewé dans les locaux de Thales au sein de l’unité mixte CNRS-Thales associée à l’université Paris-Saclay, a apporté un témoignage tout à fait intéressant. Il est synthétisé dans l’article à l’instar des vingt autres témoignages qui ont fait l’objet de ce travail. Dans le cas de la découverte d’Albert Fert (la magnétorésistance géante, qui va ouvrir la voie à la spintronique), l’apport de l’industrie est relatif à l’instrumentation. Le chercheur n’aurait pas pu aller jusqu’au bout de sa démonstration sans cet apport technologique – que le secteur académique était incapable de lui offrir. Dans d’autres cas examinés on retrouve l’équivalent : le chercheur apporte sa capacité de penser en rupture dans un certain domaine et l’acteur économique partenaire épaule l’agenda de recherche par la construction du système technique qui va avec. Mais nous avons mis en évidence des situations de synergie d’un tout autre genre où l’industriel a su interpeller le chercheur académique en révélant des anomalies qui venaient sur le terrain contredire la théorie, ou bien en lui apportant de nouveaux phénomènes à étudier, voire de nouvelles données, ou encore un meilleur décryptage des usages. Il y a des domaines privilégiés pour ce type de stratégie articulée : le modèle du géologue testé par l’industrie pétrolière lors d’une campagne d’exploration ; la recherche bio-médicale et la pratique hospitalière ; le test des propriétés quantiques en physique et le développement d’un nouveau type d’ordinateur ; etc. Réciproquement, du côté de l’industrie, les personnes interrogées ont montré comment la connaissance académique a pu, grâce à la proximité des chercheurs, être intégrée dans le processus de développement industriel et commercial.

Des éléments très personnels jouent souvent un rôle décisif comme condition pour qu’une découverte radicale se construise en parallèle avec une importante innovation technologique qui va révolutionner tout un secteur et impacter durablement le développement économique et social. Typiquement, on trouve le cas du patron de laboratoire académique qui a gardé un lien avec un ancien étudiant en thèse devenu responsable d’un département de R&D dans une grande entreprise. La proximité individuelle, les liens de confiance et de compréhension mutuelle constituent de toute évidence un facteur favorable essentiel. Cela dit, il est intéressant de se pencher sur les politiques publiques et les stratégies générales d’entreprises qui peuvent constituer un contexte plus ou moins favorable à l’émergence d’expériences de co-création entre les mondes de la science et de l’économie.

A lire également :

Histoires de sciences & entreprises – volume 4, Séminaire « Favoriser l’impact de la recherche » par Valérie Archambault et Nathalie Popiolek

https://www.pressesdesmines.com/produit/histoires-de-sciences-entreprises-volume-4/

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