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Profil de chercheur : interview de M. Pierre GANÇARSKI (ICube)

Pour le second épisode de cette série de profils d’entrepreneurs et de chercheurs, M. GANÇARSKI, enseignant-chercheur à ICube, a bien voulu répondre à nos questions et nous parler un peu de son laboratoire et de lui-même

M. Pierre GANÇARSKI

 

En quelques mots, pouvez-vous décrire vos fonctions ?

Je suis à la fois Professeur des universités à Strasbourg et directeur adjoint d’ICube. Pour ceux qui ne seraient pas familiers avec cette structure, ICube est un laboratoire d’environ 650 personnes dont 150 informaticiens. Plus d’une centaine de chercheurs d’ICube répartis dans les différentes équipes du laboratoire, travaillent en Sciences des données et Intelligence artificielle (IA) et plus précisément pour des applications dans le médical, l’environnement et l’usine du futur. Dans mon équipe « Science des Données et Connaissances », nous menons aussi un certain nombre de travaux de recherche sur les aspects méthodologiques de l’analyse de masses de données (Images de télédétection ou médicales, bases de données volumineuses, données temporelles, …).

Enfin, je suis également le directeur du GDR MaDICS (Masses de Données, Informations et Connaissances en Sciences), un regroupement national financé par le CNRS et rassemblant des industriels, des scientifiques ainsi que des producteurs et consommateurs de données.

 

ASPECT RECHERCHE & INNOVATION

Comment vous tenez-vous au courant des dernières nouveautés dans le domaine de la recherche et des technologies ?

En tant qu’enseignant-chercheur, la veille scientifique et technologique est pour moi une activité de tous les jours, je me dois de rester au courant. Pour rester expert dans un domaine, les chercheurs sont dans une démarche d’acquisition de connaissances perpétuelle. Il existe des groupes de recherche (GDR, sociétés savantes…) nationaux ou internationaux, qui nous permettent de rencontrer des gens et d’avoir une vision plus large du domaine de la recherche, tout en facilitant cette veille.

Faire des présentations à des publics des scientifiques non spécialisés des données mais aussi au grand public est une occasion de garder contact avec ceux qui côtoient l’IA sans forcément trop savoir ce que c’est. Il est de notre devoir de faire œuvre de médiatisation en leur en présentant les avantages mais également les risques et les limites. Par effet retour, c’est ainsi nous nous maintenons au courant de la manière dont est perçue et comprise l’IA.

Comment parvenez-vous à intégrer l’innovation dans votre quotidien ?

Dans la recherche, l’arrivée des masses de données n’a pas changé fondamentalement les façons de travailler : on a une idée, on la conceptualise, on propose des solutions originales, on les met en œuvre et on en voit ainsi les avantages et les limites. La recherche est très incrémentale, rien ne s’invente du jour au lendemain. Les premiers travaux sur lesquels je m’appuie pour mes recherches datent ainsi de la fin des années 90.

Cependant, même si méthodologiquement cela reste la même chose, les outils ont bien changé. Les tests sont plus rapides, bien que nécessitant de moyens de calcul importants : on peut traiter des données de plus en plus massives bien plus aisément. Nous nous retrouvons face à de nouvelles méthodes et de nouvelles approches que nous intégrons dans nos recherches si nous estimons qu’elles peuvent nous amener quelque chose. C’est d’ailleurs ce processus d’intégration qui va nous permettre de montrer leur validité. En nous servant de ces outils, nous allons pouvoir voir s’ils sont utilisables, pas trop compliqués et s’ils correspondent à des besoins réels. Pour être validée, une méthode doit être réutilisable, générique et compréhensible. Si ce n’est pas le cas, nous pouvons être amenés à la laisser de côté temporairement.

Quels est actuellement votre principal axe de recherche ?

Nous avons une volonté de faire face à l’avalanche de données hétérogènes issues de sources de plus en plus nombreuses et variées (capteurs, satellites, journaux, opinions…). Le défi est de pouvoir utiliser toutes les données dont nous disposons, les combinant pour extraire des connaissances nouvelles dans le domaine applicatif (suivi de la biodiversité, détection de maladies, étude de gestes chirurgicaux, évolution de paysage…) suivant le paradigme “Apprendre du passé pour comprendre le présent et décider du futur”.

Par exemple, dans le cas de la construction d’une nouvelle autoroute, nous disposons d’images satellite, de relevés de terrain, d’articles de journaux et de publications issues des réseaux sociaux. Ces données vont nous permettre de voir le projet sous plusieurs angles. Etudier l’évolution de cette construction peut être très intéressant pour différents utilisateurs (écologiste, décideur, géographe, …), c’est pourquoi nous désirons offrir la possibilité d’analyser le phénomène dans sa totalité. Or il faut prendre en compte le fait que les méthodes d’analyse ne sont pas les mêmes selon les données en jeu. Ultimement, la complémentarité des données et des méthodes a pour but d’améliorer la compréhension des données. Pour faciliter le recoupement des informations, on peut par exemple se servir d’éléments textuels pour décrire ou qualifier ce qui est visible dans une image. Et cela permettrait ensuite de voir si les journaux en parlent.

 

ASPECT RECRUTEMENT

Quels profils ont les ingénieurs qui rejoignent votre laboratoire ?

Nous pouvons distinguer trois principaux types de profils au sein d’une équipe de recherche (hors personnel administratif). Il y a tout d’abord les enseignant-chercheurs, qui se concentrent sur un aspect plus « théorique » et qui vont chercher à publier, à mettre en place de nouvelles méthodes et qui travaillent souvent avec les doctorants et postdoctorants. Puis nous avons les ingénieurs classiques de développement dont la tâche est de transcrire en code nos propositions méthodologiques. La dernière catégorie est celle des ingénieurs de recherche. Ce sont des ingénieurs, généralement avec une thèse, qui font de la recherche et qui vont faire le lien entre les deux types précédemment mentionnés. Ils aident ainsi les ingénieurs à comprendre les idées et les besoins des chercheurs.

Un laboratoire ne peut pas fonctionner s’il lui manque un pilier, d’où l’importance égale de chacun des profils précédents. Bien entendu, la répartition de ceux-ci varie selon les projets. Mais les ingénieurs sont nécessaires pour de nombreuses tâches, comme faire fonctionner toutes les machines impliquées dans les calculs des données et leur stockage.

Qu’est ce qui distingue les ingénieurs issus de votre laboratoire des autres ?

Il devient important pour un ingénieur d’avoir des compétences et des appétences de recherche. Celles-ci permettent de comprendre que tout n’est pas résolu. Une approche purement ingénieur, avec des procédures fixes et définies, est très réductrice. Tandis qu’avoir un point de vue de chercheur permet à la personne de se rendre compte des limites des sciences des données et de leur évolution rapide. Elle va pouvoir discuter avec des chercheurs et aller plus loin que les idées toutes faites ou les solutions sur étagères.De plus en plus d’ingénieurs s’initient et s’immergent dans la recherche. Cela entre dans les mœurs et commence même à être demandé par les entreprises françaises ou étrangères. La séparation entre master et école d’ingénieur a tendance à s’estomper. D’ailleurs, à titre d’exemple, tous les élèves de la filière SDIA (Sciences des Données et Intelligence Artificielle) de Télécom Physique Strasbourg sont inscrits en master Sciences des Données et Systèmes Complexes de l’UFR de Mathématique et Informatique de Strasbourg.

Pourriez-vous me citer les valeurs principales de votre laboratoire ?

Ce sont les qualités classiques d’un chercheur. Tout d’abord, de la curiosité – indispensable pour le chercheur mais également pour l’ingénieur – et de la rigueur dans ce que l’on fait. Il faut également faire preuve d’honnêteté et avoir une grande déontologie. Cela peut parfois se révéler difficile face à la la pression sur les publications et les résultats qui reste forte. Enfin, c’est un métier qui impose de ne pas compter ses heures et d’être très autonome. Le travail ne se termine jamais et beaucoup de gens ont du mal à gérer cela. Ce n’est pas un métier donné à tout le monde, il possède ses contraintes mais cela n’en demeure pas moins un très beau métier.

 

Propos recueillis par Alix de Villers

 

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