Au-delà du TEST DE TURING

Les machines peuvent-elles penser ?

C’est en posant cette question que débute l’article « Computing machinery and intelligence », publié en 1950 par le mathématicien anglais Alan Turing, casseur du code Enigma utilisé par les Allemands durant la Seconde Guerre mondiale et pionnier de la science informatique. Au lieu de tenter de répondre à la question initiale qui soulève des difficultés conceptuelles (en particulier, que signifie « penser » ?), Turing proposait un « jeu d’imitation » qui, s’il était gagné par une machine, prouverait que celle-ci a des capacités intellectuelles proches de celles d’un humain.
En deux mots, une machine gagne le jeu d’imitation si elle parvient, à travers un échange de textes avec un juge humain, à convaincre ce dernier qu’il a affaire à un interlocuteur en chair et en os. Ce « test de Turing » est devenu dans les décennies suivantes une sorte de guide pour les domaines de l’intelligence artificielle et de la robotique – un défi qui, s’il était relevé, signifierait que la machine a atteint le même niveau d’intelligence que les hommes.

À ce jour, aucun programme informatique ni robot n’a vraiment passé avec succès le test de Turing. Mais comme l’expliquent les chercheurs Gary Marcus et Laurence Devillers dans les pages qui suivent, les progrès scientifiques et techniques ont fait apparaître que l’on ne peut plus considérer le test de Turing comme l’objectif ultime à atteindre en matière d’intelligence artificielle.
Il y a à cela plusieurs raisons. D’une part, le jeu d’imitation de Turing ne teste que la capacité d’un système artificiel à berner un examinateur. Ce test, souligne Gary Marcus dans son article (« Machine, es-tu intelligente ? » – Pour la Science pages 26-31), doit être complété par des épreuves nouvelles portant sur diverses capacités intellectuelles, et des propositions concrètes existent déjà.
D’autre part, la notion même d’intelligence recouvre aujourd’hui un vaste éventail de capacités qui ne sont pas seulement d’ordre intellectuel, mais aussi d’ordre émotionnel. Or avec l’apparition de systèmes informatiques ou de robots capables de dialoguer oralement avec nous, de détecter notre état émotif, d’exprimer de l’empathie, la question de l’évaluation de ces aptitudes émotionnelles se pose avec acuité, explique Laurence Devillers (« Tester les robots pour mieux vivre avec » – Pour la science, pages 32-38). Dans un monde où nous côtoierons quotidiennement des robots évolutifs, la question de tous ces tests est aussi un enjeu de société : il en va de la sécurité et de la santé mentale des humains.

MAURICE MASHAAL, rédacteur en chef du magazine « Pour la Science »

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