Qu’est donc le spin ?

Auteur de l’article : Jean-Marc Lévy-Leblond, professeur émérite de physique à l’université de Nice
POUR LA SCIENCE N° 473

Le spin est une caractéristique quantique des particules intimement liée à leurs propriétés de rotation. Il joue un rôle essentiel dans les propriétés de la matière.

La mécanique classique nous a appris à distinguer dans le mouvement d’un corps deux composantes : d’une part, un mouvement extrinsèque, son déplacement ; d’autre part, un mouvement intrinsèque, sa rotation sur lui-même. Ainsi, pour la Terre, on peut aisément séparer sa révolution annuelle autour du Soleil de sa rotation quotidienne sur elle-même. À chacun de ces mouvements du corps considéré est associée une grandeur cinématique spécifique : pour son déplacement, la quantité de mouvement, et pour sa rotation, le moment cinétique (ou angulaire) propre. Il s’agit d’une grandeur vectorielle dont la direction est celle de l’axe de rotation et dont la valeur est proportionnelle à la vitesse angulaire de rotation.

La théorie quantique amende les notions newtoniennes de position et de vitesse, donc l’idée même de mouvement. Elle conserve cependant leur pertinence aux grandeurs physiques fondamentales – tout en complexifiant leur formalisation mathématique. Ainsi, un objet quantique, ou « quanton », est doté d’un moment cinétique propre, qui traduit ses propriétés rotationnelles, même s’il s’agit d’une notion plus abstraite et moins imagée qu’un mouvement de rotation classique.

Mise en évidence au cours des années 1920 pour l’électron, cette grandeur a reçu en anglais la dénomination de spin, exprimant le tournoiement et provenant de la désignation anglaise de la quenouille d’une fileuse au rouet. Ce mot provient en fait du latin spina, « épine », en raison de la forme de la quenouille. Il est dommage qu’aucun équivalent français n’ait été proposé. Les possibilités ne manquaient pourtant pas : le tournis, la volte ou la pirouette de l’électron… Voilà qui aurait eu du charme !

La nature quantique du spin se manifeste par la discontinuité de ses valeurs numériques possibles : elles sont « quantifiées ». Concrètement, les valeurs du spin ne peuvent être que des multiples entiers ou demi-entiers de h–, la constante réduite de Planck, égale à h/(2p) où h est la constante de Planck. La valeur du spin de l’électron est ainsi h–/2 ; on dit en général que son spin vaut 1/2, en sous-entendant l’unité h–. Les protons et les neutrons ont aussi un spin 1/2, le photon un spin 1, les mésons p un spin 0, etc.

Les orientations du spin aussi sont quantifiées : il ne peut en exister que 2s + 1 pour un spin s ; ainsi, le spin de l’électron ne peut prendre que 2 × 1/2 + 1 = 2 orientations.

Fermions et bosons

La caractéristique la plus importante du spin est son lien avec le comportement des ensembles de quantons de même nature. Ceux de spin demi-entier ne peuvent jamais coexister dans des états physiques individuels identiques ; on les nomme fermions. De mêmes quantons de spin entier, eux, peuvent s’accumuler dans des états identiques ; on les nomme bosons. Ces propriétés des systèmes de quantons régissent leurs comportements collectifs et expliquent par exemple aussi bien la structure des cortèges électroniques des atomes (reflétée dans le tableau de Mendeleïev) que l’impénétrabilité de la matière solide, la conductivité électrique des métaux, la lumière laser, etc. On peut démontrer cette relation entre spin et comportement collectif à partir des principes fondamentaux de la théorie quantique et de la théorie de la relativité. Toutefois, la preuve est si complexe que les raisons profondes de cette connexion restent peu intuitives.

Comme en mécanique newtonienne, l’existence d’un moment cinétique intrinsèque permet aux particules ayant des interactions électromagnétiques de porter un moment magnétique, ce qui les rend similaires à de petits aimants. Cette propriété est à l’origine d’importantes techniques modernes, notamment la résonance magnétique nucléaire, ou rmn. Dans un champ magnétique, les niveaux d’énergie des noyaux atomiques dépendent de l’orientation de leur spin. En détectant l’absorption d’un rayonnement électromagnétique induisant une transition entre ces niveaux, à une fréquence qui dépend spécifiquement des noyaux concernés, on peut observer de façon très fine la répartition des atomes.

C’est là le principe de l’imagerie par résonance magnétique (IRM), une technique d’imagerie médicale très utilisée, notamment parce qu’elle est non invasive et non irradiante.

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