L’informatique ne s’apprend pas dans les livres

Sauriez-vous ouvrir la porte de l’avion ?

Un étudiant en informatique ne s’approprie les principes de cette science que s’il les met en œuvre. La pratique est indispensable !

Quand un avion doit être évacué en urgence, le passager assis à côté d’une issue de secours est chargé de son ouverture. Mais ouvrir la porte d’un avion demande un certain savoir-faire : c’est pourquoi le personnel navigant demande à ce passager de lire, avant le décollage, un bref document décrivant la procédure.

La plupart des passagers dans cette situation lisent attentivement ce document et le reposent satisfaits. Mais sauraient-ils vraiment ouvrir la porte sans avoir, eux-mêmes, essayé la procédure au moins une fois ? Un informaticien, par exemple, considère, en général, qu’après la lecture du document, il ne sait qu’à moitié comment ouvrir cette porte. J’ai essayé, un jour, d’ouvrir la porte dont j’étais responsable, pour bien comprendre, par moi-même, comment faire, mais l’hôtesse m’a hélas attribué un autre siège avant que j’aie fini ma séance de travaux pratiques.

Pourquoi un informaticien réagit-il ainsi ? Parce que l’informatique ne s’apprend pas au tableau. Elle ne s’apprend pas non plus dans les livres. Cela ne signifie pas, bien entendu, que les tableaux et les livres soient inutiles : il est peu probable, par exemple, qu’un lycéen redécouvre par lui-même l’algorithme RSA en essayant d’écrire un programme qui chiffre et déchiffre des messages. Il vaut mieux qu’il commence par apprendre le principe de cet algorithme dans un cours au tableau ou dans un livre. En revanche, il n’aura pas complètement compris cet algorithme tant qu’il ne l’aura pas lui-même programmé et utilisé.

Cette exigence pédagogique perturbe la géométrie des universités, des lycées et des collèges. Outre des classes où les étudiants et les élèves écoutent un enseignant parler et où ils se succèdent au tableau pour faire des exercices, il faut désormais prévoir aussi des classes dans lesquelles ils travaillent en petits groupes, à des rythmes différents, parfois sur des sujets différents, et où les enseignants partagent leur temps pour les aider chacun leur tour.

Les travaux pratiques ne sont pas une forme pédagogique nouvelle, mais leur raison d’être en informatique est différente de ce qu’elle est dans les sciences de la nature. En physique, en chimie, en biologie, etc., les travaux pratiques servent avant tout à confronter les élèves à la réalité que ces sciences cherchent à décrire. Les élèves y font des expériences, pour découvrir, valider, etc., les lois de la nature. En informatique, en revanche, leur utilité vient du fait que les savoirs sont associés à de multiples savoir-faire, que les élèves ne peuvent acquérir qu’en agissant. Par exemple, apprendre qu’une boucle sert à répéter une même instruction plusieurs fois n’est pas suffisant, il faut aussi apprendre à utiliser une boucle quand on écrit un programme. De même, on n’apprend pas la trompette en se focalisant seulement sur le solfège et les doigtés, il faut aussi souffler soi-même dans l’instrument. Et on n’apprend pas l’italien à partir du dictionnaire et de la grammaire, sans s’essayer à la conversation.

Le développement de l’enseignement de l’informatique aura peut-être un heureux effet secondaire : la diffusion, par porosité, de ses méthodes pédagogiques à d’autres disciplines… même s’il reste à comprendre comment des projets permettraient de mettre en pratique des connaissances acquises dans des matières comme la littérature ou l’histoire.

Gilles Dowek

Gilles Dowek est chargé de recherches à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) et membre du conseil scientifique de la Société informatique de France. Il est l’auteur de la chronique Homo sapiens informaticus dans Pour la Science.

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