La forme inexpliquée du Krypton-96

Nous l’avons tous appris à l’école, un atome est constitué d’un cortège d’électrons, ainsi que d’un noyau de protons et de neutrons. D’un point de vue géométrique, on considère souvent au vu de la taille du noyau que la forme du celui-ci est parfaitement sphérique, ce qui est faux. La forme du noyau peut varier en fonction de ses composants et des nombreuses interactions qui y ont lieu. Une expérience menée récemment par des chercheurs français de l’Institut de Physique Nucléaire de Lyon (IPNL), du Grand Accélérateur National d’Ions Lourds (GANIL) et de l’Institut Pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC) a cherché à mettre en évidence la forme du noyau de Krypton-96.

Les Interactions au Sein du Noyau

Avant de pouvoir esquisser la forme des noyaux atomiques, il est nécessaire de comprendre les forces qui y règnent. A l’intérieur même du noyau atomique, trois forces entrent en compétition. La première est l’interaction forte, essentielle, celle-ci permet aux protons et aux neutrons de rester en contact. De forte intensité mais de courte portée, elle lutte contre l’interaction électromagnétique qui est répulsive (les protons sont chargés positivement, donc sensés se repousser), mais moins intense. Enfin, l’interaction faible (ayant lieu au niveau des quarks) permet au noyau de se stabiliser lorsqu’il est instable en transformant un neutron en proton (ou l’inverse), provoquant le phénomène de radioactivité bêta.

Les interactions forte, électromagnétique et faible.

Ces interactions, ainsi que le milieu dans lequel l’atome est présent influent sur son état énergétique et sa stabilité. En général, on constatera que les noyaux les plus stables ont une forme sphérique, tandis que plus un noyau est excité, plus il pourra prendre des formes ellipsoïdes (voire même de formes de poire ou de soucoupe). La forme du noyau dépend aussi bien entendu des nucléons qui le composent, et évolue en général graduellement en fonction du nombre de protons et de neutrons.

Il devient donc important d’être capable de déterminer la forme des noyaux, car cette information permet ensuite de déterminer les caractéristiques des différentes interactions dans le noyau (notamment l’interaction forte). Il existe des méthodes théoriques pour approximer la forme, mais il est nécessaire de vérifier empiriquement les résultats afin d’être sûr de leur fiabilité.

« Mesurer la Forme » du Krypton-96

Nous le disions plus haut, il y a peu de temps l’accélérateur d’ions lourds GANIL a abrité une expérience visant à identifier la forme du noyau du Krypton-96 (36 protons, 60 neutrons). La démarche était la suivante : tout d’abord, les atomes de Krypton-96 sont produits grâce à une série de réactions de fission induites par un faisceau d’ions lourds d’Uranium-238 (car ils n’existent pas à l’état naturel sur Terre). Ensuite, le GANIL accélère les atomes de Krypton-96 pour qu’ils atteignent un état d’énergie où celui-ci est instable, afin de retourner à son état d’énergie fondamental, le Krypton-96 va alors émettre un rayonnement gamma.

Ce rayonnement est ensuite mesuré par deux spectromètres : l’Advanced Gamma-ray Tracking Array (AGATA) et le Variable Mode magnetic Spectrometer (VAMOS), ce qui permet de mesurer son moment cinétique orbital et d’obtenir son spectre d’émission. On peut ensuite observer et comparer ce spectre avec d’autres atomes et molécules de forme et de spectre connus.

 

Les détecteurs AGATA et VAMOS/ ©H.Raguet

Une Forme Sphérique

 

Contrairement au diazote, au Molybdène-102, au Zirconium 100 et au Strontium-98 (60 neutrons chacun), le spectre du Krypton-96 ne possède pas les bandes caractéristiques d’une forme aplatie /©IN2P3

Avant cette expérience, les calculs théoriques supposaient que le Krypton-96 possédait une déformation très développée de son noyau, tout comme son voisin dans la classification périodique : le Rubidium-97 (60 neutrons aussi mais 37 protons, soit un de plus que le Krypton). Pourtant, après comparaison avec d’autres atomes dont la forme ellipsoïdale avait été clairement identifiée, il est apparu que le Krypton-96 ne partageait pas les mêmes caractéristiques. Les nucléons du Krypton-96 sont répartis en réalité de façon sphérique.

Il apparaît ainsi que la transition du Krypton-96 vers le Rubidium-97 fait partie des rares exceptions dans la transition du noyau. Habituellement progressives, cette transition-ci est abrupte, et ce bien que les deux noyaux ne diffèrent que d’un neutron. Ces transitions abruptes, bien que rares sont encore inexpliquées par les modèles théorique modernes, et la découverte d’un nouveau cas aidera sans nul doute à identifier les composantes clés de l’interaction nucléaire responsables de la forme du noyau.

 

  • L’étude complète est disponible ici.
  • En savoir plus sur le GANIL.
  • En savoir plus sur l’IPHC.
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